On connaissait #200_clichés de ce défenseur de l’#identité_inca.
La #numérisation de ses #archives en a révélé 30 000 autres.

#Photographe #péruvien de studio installé à #Cuzco, #Martin_Chambi (1891-1973) est l’un des #maîtres de la #photographie de la première moitié du #20e_siècle. Mais il est plus que cela : en faisant poser la #bonne_société comme les #paysans, pour la plupart des #indigènes, il incarne à lui seul l’#imagerie d’une #nation et de ses #racines_historiques – très peu de #photographes de par le #monde ont ce #privilège.
C’est ainsi qu’en septembre le président péruvien Pedro Pablo Kuczynski inaugurait à Pékin une exposition où figuraient ses images, alors que l’université de Navarre, à Pampelune (Espagne), achetait plusieurs de ses œuvres. Ses tirages figurent aussi dans les collections de grands musées – notamment celles du MoMA de New York depuis 1979.
Ombres et lumières
Pourtant, Chambi est depuis un an, dans son propre pays, au cœur d’une controverse à la fois esthétique et politique. Ce pionnier de la photographie, connu pour avoir dévoilé, à travers ses photos, la vie des communautés indigènes des Andes péruviennes, défendait-il vraiment la dignité des autochtones ? A-t-il réellement représenté l’âme indigène péruvienne, comme on l’a longtemps cru, ou s’est-il contenté d’être un portraitiste de studio et un paysagiste de carte postale ?
Son petit-fils, Teo Allain Chambi, dirige les archives du maître, à Cuzco. Dans le local de l’Archivo Fotografico Martin Chambi, le studio du photographe a été reconstitué à l’identique, avec ses meubles et sa collection d’appareils. Teo défend avec dévotion son grand-père, rappelant que Chambi était un indigène d’origine modeste qui a voulu défendre sa communauté. « Né à Puno, près du lac Titicaca, il était d’origine paysanne et indigène, quechua. Son père travaillait dans les mines. Fasciné par les photographes de la compagnie minière, il est parti à Arequipa pour apprendre le métier auprès de Max T. Vargas. »
Nombre d’images confirment cette approche, amplifiée par un talent que nul ne conteste. Dépassant les conventions de la photographie de commande, Chambi maîtrise avec brio les ombres et lumières – son image la plus célèbre, le cortège de mariage de Julio Gadea (1926), pourrait figurer dans un film expressionniste de Murnau. Il délaisse souvent le studio pour photographier ses modèles sur leur lieu de travail ou de résidence. Il immortalise aussi d’improbables personnages populaires, comme le « Géant » de 1925.
Ajoutons qu’au-delà de la géographie humaine des Andes, Chambi était un grand paysagiste. Il a magnifié un territoire, donc une nation. Influencé par le mouvement du pictorialisme, qui cherchait à rapprocher la photographie d’une œuvre peinte, il est, au cours de la première moitié du XXe siècle, le pionnier de la carte postale au Pérou. Il façonne également l’image internationale de la ville de Cuzco et fixe avec talent sur la pellicule la cité inca de Machu Picchu, icône du Pérou.
Chambi ne gardait pas de tirages, qu’il destinait aux clients dont il faisait le portrait. Après sa disparition, en 1973, bien peu de ses photographies étaient connues. Pendant plus de trente ans, seules 200 images, sélectionnées par le photographe américain Edward Ranney, ont circulé de par le monde, à travers des expositions et des livres. Mais grâce à la numérisation, des négatifs de Martin Chambi ont été exhumés.
De nouvelles images sont donc apparues. Et ce n’est pas une mince affaire. « Le fonds est fragile, car Martin Chambi se servait jusqu’en 1950 de plaques de verre, explique Teo Allain Chambi, chef d’orchestre de ce travail. Nous avons presque fini la numérisation de 30 000 plaques de différents formats. Nous avons eu la surprise de découvrir un millier d’autoportraits, presque tous inédits. Il avait inventé le selfie ! »
Des photos inconnues de Chambi ont été exposées au Musée d’art de Lima, d’octobre 2015 à février 2016. Cet enrichissement de la collection Chambi a relancé le débat sur la personnalité du photographe et, surtout, sur l’interprétation de son œuvre. A l’époque où il magnifie les petites gens de son pays et dans les décennies suivantes, Chambi est considéré comme proches des indigénistes, ces historiens et créateurs qui considéraient les Incas et leurs descendants comme l’incarnation de l’âme nationale péruvienne.
Changer de perspective
« La rencontre entre mon grand-père et le groupe indigéniste des années 1920-1930 a été décisive », affirme ainsi Teo Allain, dont le père, d’origine française, Teofilo Allain Alvarez, était un peintre indigéniste des années 1950. Natalia Majluf, directrice du Musée d’art de Lima, insiste elle aussi sur le rôle de ce courant. « Martin Chambi était lié à la première génération d’intellectuels indigénistes, écrivains et peintres, qui revendiquaient la culture régionale des Andes, renchérit-elle. Les indigénistes étaient proches du Parti communiste fondé par José Carlos Mariategui ou de l’Alliance populaire révolutionnaire américaine, l’APRA anti-impérialiste de Victor Raul Haya de la Torre. Leur mouvement était romantique et radical. »
Aucun document ou témoignage ne prouve l’engagement politique de Martin Chambi : chez lui, la quête de l’identité andine semble relever d’une démarche autobiographique d’introspection plus que d’une réelle conscience sociale. Il savait cependant qu’il captait, avec ses photographies, des éléments importants de la mémoire collective. « Il a fondé la société folklorique du Cuzco, soutenu la musique traditionnelle et effectué un travail remarquable pour fixer l’image des petits villages andins, poursuit Natalia Majluf. Chambi était à la fois photographe de studio, photoreporter, artiste, ethnographe et documentariste. » Les exégètes de l’après-1968 allaient encore plus loin : ils le présentaient comme un témoin critique de son temps, voire comme un dénonciateur des inégalités sociales et ethniques du Pérou.
José Carlos Huayhuaca, professeur à l’université catholique de Lima, conteste cette vision militante de l’œuvre de Martin Chambi. Cet intellectuel, qui est né et a grandi à Cuzco, connaissait bien le photographe. « J’ai souvent rencontré Chambi chez lui, en famille », explique-t-il. Il lui a consacré un documentaire en 1976, puis une monographie en 1991 – elle a été éditée par l’Institut français d’études andines. José Carlos Huayhuaca est prêt à assumer le rôle d’empêcheur d’idolâtrer en rond. « Trente ans après, nous sommes amenés à changer de perspective », estime-t-il.
Selon lui, vouloir doter Martin Chambi d’une intention sociale est non seulement anachronique mais déplacé. « Depuis que l’on a découvert bon nombre des négatifs numérisés, on s’aperçoit qu’il ne photographiait jamais les pauvres porteurs qui sillonnaient les rues de Cuzco, constate-t-il. Il ne photographiait pas non plus les ivrognes, les infirmes ou les misérables que j’ai connus dans mon enfance. Ses photos du tremblement de terre de 1950 sont en outre moins réussies que celles d’Eulogio Nishiyama, qui est une figure de l’école documentaire du Cuzco. »
Si les indigènes photographiés par Martin Chambi semblent aussi dignes, poursuit José Carlos Huayhuaca, ce n’est pas parce que le photographe tentait de leur « rendre leur dignité », mais parce qu’il était naturellement enclin à arranger ses sujets. L’idéalisation et la stylisation sont le propre de l’art, et Chambi était convaincu de la nature artistique de son métier, ajoute le professeur.
Malgré ces polémiques, l’œuvre de Martin Chambi continue de susciter des vocations. Le photographe espagnol Juan Manuel Castro Prieto, qui a visité la région de Cuzco, lui a ainsi, lui aussi, rendu hommage en publiant ses propres clichés en couleur à côté de ceux en noir et blanc de Chambi. Ces échanges artistiques pourraient aider la photographie péruvienne à se développer.
« Au Pérou, le marché de la photo est encore embryonnaire, il n’y a pas de galerie spécialisée à Lima », déplore Carlos Sanchez Paz, poète et photographe péruvien. Cet ancien élève des Ateliers Varan, école de cinéma documentaire parisienne, veut y remédier en faisant de Cuzco le siège d’une Biennale de la photographie à partir de novembre 2017. L’esprit de Martin Chambi n’est pas près de s’éclipser.
Photographie : Martin Chambi, c’est le Pérou
http://www.lemonde.fr/culture/article/2016/11/11/martin-chambi-c-est-le-perou_5029337_3246.html